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Gestion de l'eau

À la source de convoitises : l’eau minérale

En France, au milieu des années 2010, on comptait plus de 100 usines d’embouteillage d’eau, conditionnant 91 eaux minérales naturelles, 83 eaux de source et 4 eaux rendues potables par traitement. Depuis la fin des années 1970, la concentration des embouteilleurs s’est intensifiée avec l’essor du plastique. Aujourd’hui, trois grands groupes dominent largement le marché : Nestlé, Danone et Alma. L’embouteillage a cependant connu une industrialisation progressive. D’un privilège réservé à une élite à une consommation de masse, il aura fallu plusieurs siècles et l’adoption de nouvelles lois pour démocratiser l’eau minérale.

paru le 30/01/2025 par

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Cecile Vidal

des mains recueillent une eau de source

L’eau minérale a longtemps été considérée comme bienfaisante, voire curative, comme en témoignent les thermes à l’Antiquité. Sous l’Ancien Régime, elle était utilisée comme un véritable médicament, et certaines de celles que nous consommons sont encore préconisées à l’appui de thérapies. Mais pour bénéficier, d’abord aux plus puissants, puis à tous, à partir du milieu du XIXème siècle, il a fallu exploiter, puis distribuer cette eau minérale. Comment ces règles ont elles évolué, en France particulièrement ? L’avènement du plastique L’exploitation, comme la consommation de l’eau de source, a connu une augmentation exponentielle avec l’avènement du plastique. Mais c’est aussi le fruit de l’assouplissement de la réglementation, fruit de la démocratisation d’un produit qui revêt des qualités médicinales. L’embouteillage a connu une industrialisation lente, et du verre, le plastique est devenu majoritaire à partir des années 1970. Cette industrialisation a été en effet encadrée, au cours du XXème siècle par plusieurs décrets, de 1922, 1930 et 1957 renforçant la régulation du nombre de producteurs, soumis à des systèmes sophistiqués de surveillance de la qualité de leur embouteillage. De plus, les demandes d’autorisation d’exploitation devaient être renouvelées tous les trente ans. Les bases législatives applicables aux eaux minérales naturelles et à leur exploitation apparaissent avec la loi N°2004-806 du 9 août 2004, codifiée sous les articles L. et R. 1322-1 et suivants du Code de la Santé Publique. Cette loi est refondue en 2007 : avec notamment les arrêtés de 5 mars et 20 juin 2007, le contrôle sanitaire étant assuré par les Agences Régionales de Santé (ARS) depuis l’arrêté du 22 octobre 2013. Le tout est chapeauté par des directives européennes de 2009, 2003 et 1998, qui encadrent et définissent les qualités des eaux destinées à la consommation humaine. L’appellation « Source d’intérêt public » appliquée dès le XIXème siècle Le véritable essor des demandes d’exploitation d’eau de source* auprès de l’Académie de Médecine, par une large majorité de particuliers, s’est fait au XIXème siècle : entre 1845 et 1940, ce sont près de 1900 demandes déposées. Le nombre fluctue en fonction des guerres, mais déjà, autour des années 1930, l’essentiel du paysage sourcier français est établi. Si les eaux minérales jaillissant naturellement,  (à l’origine des établissements thermaux tels que ceux de Cauterets, Plombières, Vichy), sont rares, les exploitants se sont donc mis à forer autour des 3 bassins sourciers majeurs : Vichy, Vals, et Vittel/Contrexéville. Ce n’est qu’à partir de 1856 que l’appellation « Source d’intérêt public » fut progressivement appliquée pour plusieurs communes. Dès 1848, cette exploitation, aux forages parfois périlleux pour la salubrité de la source originale, fut subordonnée à une autorisation du préfet, sur l'avis de l'ingénieur des mines du département et du médecin-inspecteur de l'établissement thermal. Car au début du XIXème, l’eau minérale est encore alors majoritairement vendue en pharmacie, et garde une image de médication ; cette dernière va évoluer vers celle d’un ‘produit hygiénique’, favorable à la santé, sous l’effet conjugué de la publicité, de l’extension de la concurrence, du développement des transports et d’un enrichissement de la population. 

Info+ *Eau de source et eau minérale : quelle différence ? En France, l'appellation "eau minérale" demeure étroitement liée à la notion de médicament. En vertu de l'ordonnance de 1823, les eaux minérales sont forcément naturelles et embouteillées directement à la source ; elles sont reconnues par les autorités médicales comme ayant des qualités thérapeutiques et reçoivent une autorisation d'exploitation des pouvoirs publics. D'autres producteurs créent des eaux artificielles gazeuses, non soumises à autorisation, mais surveillées comme des biens alimentaires. L'"eau de source" a la même origine souterraine, naturelle et microbiologiquement saine, que l'eau minérale. De même, elle est embouteillée à la source. Sa différence avec l'eau minérale naturelle tient en sa teneur en minéraux et en oligo-éléments, qui n'est pas toujours stable.

“Des privilèges exclusifs” de distribution dénoncés à la Révolution Pour parvenir à cette évolution et à la démocratisation dans l’exploitation et la consommation de l’eau en bouteille, le Docteur Desbrest, propriétaire des Eaux de Châteldon, dénonça dans les cahiers de Doléances de 1789 des  « privilèges exclusifs » de distribution. Ces doléances étaient adossées à une forte augmentation de la consommation d’eau en bouteille. Les prémices de la Révolution se font d’ailleurs sentir au cours du XVIIIème, avec quelques aménagements, notamment en 1778, par la création de la Société royale de médecine (ancêtre de l’actuelle Académie de Médecine), puis, par un arrêt du 5 mai 1781, ce qui sera le fondement de la réglementation des eaux minérales françaises au XIXème siècle. Car l’exploitation, le transport et la consommation de l’eau minérale a longtemps été le privilège des plus puissants : ainsi par exemple, au Moyen-Âge, l’Empereur Lothaire se faisait-il livrer cette eau précieuse après un transport d’une centaine de kilomètres. Au XVIème, c’est l’eau de Plombières qui avait toute l’attention des Ducs de Lorraine, aussi bien pour la boisson que le bain. Le retour en grâce des eaux minérales, après les thermes de l’Antiquité, ont conduit Henri IV, en mai 1605, à créer un titre de Surintendant des Eaux Minérales de France, qu’il attribuera à son Premier Médecin. Ce titre introduisit ainsi une notion de privilège, puisque le Surintendant supervisait, contrôlait et gérait l’exploitation et l’expédition de ces eaux. Le commerce libre était interdit, et la contrebande constatée çà et là, notamment autour des eaux de Vichy. La Société Royale de Médecine fixait alors le tarif de vente, et autorisait des bureaux de vente qui s’octroyaient la distribution des eaux, les propriétaires des sources n’en ayant alors pas la gestion, et encore moins les apothicaires, religieux, ou tout particulier. Vers La consommation de masse Un long chemin a ainsi été parcouru pour faire bénéficier au plus grand nombre des bienfaits de l’eau minérale. Cependant, la consommation de masse a entraîné l’émergence de nouvelles problématiques toujours d’actualité, notamment l’innocuité des conditionnements en plastique et les défis écologiques qu’ils posent. Même si le retour au verre consigné est parfois envisagé, voire appliqué, son retraitement soulève d’autres enjeux, notamment une forte consommation… d’eau. Sources : https://www.annales.org/edit/ri/1998/ri05-98/020-029Chambriard.pdf https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/eaux/article/eaux-conditionnees https://eaumineralenaturelle.fr/qui-sommes-nous/la-carte-des-eaux-minerales https://fr.wikipedia.org/wiki/Eau_en_bouteille https://shs.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-3-page-25?lang=fr https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2004_num_92_344_5717 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/rac00011048/l-industrie-de-l-embouteillage-des-eaux-minerales https://videos.senat.fr/video.4913414_6759eaea33859.eaux-en-bouteille--perspective-historique


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