Gestion de l'eau
L'appellation "Eau minérale naturelle" ne coule plus de source ?
22/05/2025
paru le 14/06/2025 par
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Le changement climatique n'est plus un inconnu. Issue des activités humaines, il repose sur l'accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, principalement le dioxyde de carbone (Co2). Ce gaz piège une partie du rayonnement terrestre, ce qui entraîne une élévation de la température moyenne de la planète. Mais ce que l'on sait moins, c'est le rôle fondamental que joue l'océan dans cette mécanique. Comme le résume Paul Tréguer: "l'océan récupère environ 90 % de la chaleur excédentaire générée par les activités humaines." Ce rôle d'éponge thermique ralentit considérablement le réchauffement de l'atmosphère avec pour fonction cruciale l'absorption du Co2. Chaque année, l'océan capte 25% des émissions de dioxyde de carbone. Deux mécanismes, thermique et chimique, qui font de l'océan un allié de régulateur du climat. "L'océan ne pourra pas absorber indéfiniment les conséquences de nos excès. La trajectoire actuelle nous mène vers une augmentation de 3 à 4 ° C d'ici la fin du siècle. Il est encore temps d'inverser la tendance, mais le temps est compté," commente Paul Tréguer.
Ce rôle de tampon a cependant un coût. L'absorption massive de chaleur et de Co2, modifie profondément l'écosystème océanique. En se réchauffant, l'océan se dilate, ce qui contribue à la montée du niveau de la mer. La fonte des glaces continentales (le Groenland et L'Antarctique) injecte de l'eau douce supplémentaire dans l'océan, amplifiant encore cette élévation. L'absorption du Co2, entraîne une acidification des eaux, qui fragilise les organismes marins à coquille calcaire (coraux, coquillages, etc ). " Si rien ne change, on s'attend à une montée du niveau marin d'au moins un mètre d'ici la fin du siècle " alerte Paul Tréguer. Alors que faut-il changer?
"On connaît les causes du changement climatique. On sait ce qu'il faut faire. Alors faisons-le. Il faut passer les blocages y compris ceux portés par les climato-septiques ou par les intérêts économiques". John Kerry
Lors d'une conférence préparatoire à l’UNOC sur l’océan, à Nice, l’ancien envoyé spécial des États-Unis pour le climat a lancé un appel clair à l’action. Un message que partage pleinement Paul Tréguer, qui martèle : " L’urgence, c’est d’abord de réduire notre consommation énergétique. " Le chercheur cite à ce titre le rapport du Réseau de Transport d’Électricité (RTE), publié en 2021, qui recommande une baisse de 40 % de la consommation énergétique française d’ici 2050. Un objectif qui implique des transformations profondes de nos modes de vie.
Paul Tréguer plaide pour une réduction massive des gaz à effet de serre, en misant d’abord sur la sobriété énergétique et le développement des énergies renouvelables. " Le meilleur carbone, c’est celui qu’on n’émet pas. Pour y parvenir, l’océan offre des énergies infiniment renouvelables " , souligne-t-il. Parmi les leviers concrets déjà déployés figurent l’énergie marémotrice ( produire de l'électricité avec la force des marées), comme le barrage de la Rance (Bretagne), les éoliennes en mer, fixes ou flottantes, et les hydroliennes. Des technologies désormais bien implantées, y compris sur les côtes françaises. La récente mise en service du parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, qui couvre une part significative des besoins énergétiques des habitants des Côtes-d’Armor, marque un tournant dans la réduction de nos émissions. Si nous disposons de nombreuses solutions à notre portée, l’élimination du dioxyde de carbone atmosphérique, plus connue sous l’expression anglaise "Carbon Dioxide Removal" (CDR), s’impose comme un complément indispensable à la réduction des émissions. Pourquoi ? Parce que certaines activités continueront à émettre du CO2 , même à long terme. "L’agriculture, la sidérurgie, l'aviation ou le secteur du bâtiment, notamment la production de ciment, continueront à générer du CO2. On ne peut pas tout arrêter du jour au lendemain sans provoquer une casse sociale ou industrielle", prévient Paul Tréguer. Le recours à des techniques de captage et de stockage du carbone pourrait donc permettre de compenser ces émissions résiduelles, à condition d’en maîtriser les risques et les impacts environnementaux. "Dans ce contexte, le captage de CO2, apparaît une solution intermédiaire, pragmatique mais insuffisante." insiste le scientifique. Les compagnies gazières et pétrolières l'ont bien compris. Les technologies de captage de CO2 qui relèvent de la géo-ingénierie offrent une manière de prolonger leurs activités tout en affichant une posture climatique responsable. Si dans le discours officiel, la sortie des énergies fossiles reste un objectif clair, le pétrole et le gaz continuent pourtant de structurer les stratégies industrielles.
En 2024, le nombre total de projets a atteint 628 à travers le monde, selon un rapport publié par l’Institut mondial du captage et stockage géologique du CO2 (CSC). Paul Tréguer évoque l'exemple de Porthos, projet néerlandais au large de la mer du Nord, qui prévoit le stockage de 37 millions de tonnes de Co2 par an dans un ancien champ gazier à 3000 mètres de profondeur. Le dioxyde de carbone sera capté dans les usines Shell, Exxonmobil, Air Liquid et Air product, liquéfié au port de Rotterdam, puis transporté dans les couches géologiques profondes. "Un processus qui s'ouvre à d'autres pays européens où chacun pourra y envoyer ses propres émissions. Même si tous les projets étaient opérationnels, cela ne représenterait que 0.2 milliards de tonnes par an, or les émissions mondiales dépassent les 40 milliards. C'est un appoint, un filet mais ce n'est pas une solution", précise le scientifique. En Norvège, le CO2 est capté à la source dans les installations industrielles gazières puis stocké dans les sédiments marins. Une technique qui fonctionne depuis des années, mais à petite échelle.
Paul Treguer est clair: "les technologies existent, certaines sont déjà en service, mais elles ne peuvent servir d'excuse pour ne pas réduire les émissions à la source"
En parallèle, des tentatives de Géo-ingénierie sont menées pour renforcer le rôle de puits de carbone de l’océan. Parmi les solutions évoquées pour piéger le CO2, certaines passent par l'amplification des processus naturels, comme la photosynthèse marine, notamment deux grandes voies sont à l'étude: la culture d'algues et la fertilisation de l'océan. Les champs d’algues géants, comme les laminaires observées en Bretagne, au large de la Californie ou en Antarctique, captent du CO₂, leur développement pourrait améliorer le captage atmosphérique. Mais Paul Tréguer alerte : "Si on ne récolte pas les algues, la matière organique finit par se dégrader… et relargue à nouveau du CO₂." D’autres méthodes sont encore plus expérimentales. L’ajout de fer dans l’océan Austral, par exemple, stimule le phytoplancton, qui capte du CO₂ via photosynthèse. Mais cela modifie les équilibres biologiques marins et pourrait avoir des effets secondaires globaux. " Certaines espèces opportunistes prennent le dessus, quand d'autres régressent. On ne maitrise pas les conséquences." Parmi les techniques discutées figure aussi l'alcalinisation des océans. Une solution pour absorber davantage de CO2 et lutter contre l'acidification des mers. Cette technique consiste à ajouter des matériaux alcalins comme le calcaire (carbonate de calcium) ou l'olivine ( silicate de magnésium et de fer) à l'eau de mer, afin d'augmenter l'alcalinité et de transformer le CO2 en bicarbonate stable. Si cette approche permettrait de séquestrer du dioxyde de carbone sur le long terme, elle soulève aussi des questions: risques pour les écosystèmes, logistique complexe, coûts élevés et efficacité incertaine. " Ces précipités modifient la chimie locale de l'eau, avec des conséquences encore mal connues sur les cycles biogéochimiques marins ", relève l'océanographe.
Parmi les effets les plus insidieux du changement climatique figure l'acidification des océans. En captant le dioxyde de carbone, l'eau de mer forme de l'acide carbonique, ce qui entraîne une baisse du PH. Depuis le début de l'ère industrielle, le pH moyen de l'océan mondial est passé de 8.2 à 8.1. Une baisse qui semble faible, mais dont les conséquences sont majeures: le pH est une échelle logarithmique (info+), et cette variation correspond en réalité à une augmentation de 30% de l'acidité.
info+ Sur une échelle linéaire, tu avances de 1 en 1 : → 1, 2, 3, 4, 5, etc. Sur une échelle logarithmique, tu avances par multiplication (souvent par 10) : → 1, 10, 100, 1000, etc. Par exemple, le pH de l’eau est sur une échelle logarithmique : Un pH de 7 est neutre. Un pH de 6 est 10 fois plus acide que 7. Un pH de 5 est 100 fois plus acide que 7.
Les premiers effets sont déjà observables. Coraux, mollusques et plancton calcifiant peinent à se développer, en particulier dans les zones côtières, où l'acidification progresse plus rapidement qu'en haute mer. " Certaines zones marines atteignent déjà des seuils critiques pour les espèces commerciales" observe Paul Tréguer, qui participe à des réseaux de surveillance comme le Service de l'Observation en Milieu Littoral ( SOMLIT). L'océan joue un rôle crucial d’amortisseur climatique. Mais cet équilibre est fragile. Sous l’effet du réchauffement global, du niveau marin qui grimpe, de l’acidification croissante et du bouleversement des écosystèmes, les signaux d’alerte se multiplient. Il ne suffit plus de constater : il faut agir. Réduire notre consommation d’énergie, abandonner les énergies fossiles, renforcer la surveillance des milieux marins, et encadrer rigoureusement les solutions technologiques. C’est dans ces choix que se dessine notre avenir. "L’océan nous protège. À nous désormais de le protéger en retour", conclut l’océanographe Paul Tréguer.
*Merci à Charlotte de la Bibliothèque Jacques Prévert à Cherbourg-en-Cottentin pour les sources documentaires.