Culture
"Quand la mer monte", la montée des eaux en Bande dessinée
19/12/2024
Quand les nappes montent, enquête illustrée du média Grand Format, s’appuie sur les travaux du programme scientifique Rivages normands 2100. La bande dessinée restitue cinq années de recherches menées par des chercheurs des universités de Rennes et de Caen, et met en lumière un phénomène longtemps resté invisible sur plusieurs territoires de Normandie.
Par Nicolas Vignot
Paru le 19/12/2025
Après Quand la mer monte, le journaliste Simon Gouin, du média normand Grand Format, revient avec une nouvelle enquête en bande dessinée, illustrée par Vincent Sorel, Quand les nappes montent. Conçue à partir des travaux du programme scientifique Rivages normands 2100, la BD restitue avec clarté et pédagogie plus de cinq années de recherches menées par des scientifiques des universités de Rennes et de Caen. "La mer monte et menace les habitations. Les pluies abondantes font déborder les rivières. Ces phénomènes, provoqués ou accentués par le changement climatique, sont bien connus", pose le récit en ouverture. Puis l’album déplace le regard loin des images spectaculaires du littoral submergé ou des crues soudaines, il s’intéresse à un phénomène plus discret, longtemps ignoré.
C'est aussi à partir du sol que l'eau va remonter et impacter fortement nos territoires de vie au cours des prochaines années
→ Simon Gouin et Vincent Soral auteurs de "Quand les nappes montent"
Les inondations ne sont plus le fait des rivières qui débordent ou à des pluies intenses. Elles sont aussi, de plus en plus liées à un phénomène longtemps resté invisible: la remontée des nappes phréatiques. C'est ce que montre précisément l'étude Rivages Normands 2100 à travers le récit de la bande dessinée. L'eau peut désormais surgir du sous-sol et inonder les territoires par en dessous. La BD s'appuie sur des scènes ordinaires. Des sous-sols inondés sans pluie apparente. Des habitants qui pompent encore et encore. "On a beau pomper, l'eau revient sans cesse. Qu'est-ce qui se passe? " Ces situations ne relèvent pas de l'exceptionnel. Elles traduisent le fonctionnement des nappes phréatiques, ces réserves d'eau souterraines peu profondes, alimentées par l'infiltration des pluies. En temps normal, leur niveau varie selon les saisons. Mais le changement du climat vient perturber cet équilibre. " Ces inondations par remontée de nappes ne sont pas nouvelles. En 2001, après un hiver très pluvieux, de nombreuses zones en Normandie ont été touchées. Le changement climatique accroît ce phénomène", explique Luc Aquilna, hydrogéologue et chercheur à l'université de Rennes. Des hivers plus humides, des précipitations plus intenses, combinés à l'élévation du niveau marin qui freinent l'écoulement naturel des eaux souterraines par la mer. Dans les zones basses, l'eau s'accumule. La nappe monte. Elle finit par atteindre le niveau du sol, puis les fondations, les réseaux, les terres agricoles.
Si le récit se déroule en Normandie, ce n'est pas par hasard. La région concentre de nombreuses situations de vulnérabilité. Zones littorales de faibles altitude, marais, cordon dunaires, havres ouvert sur la mer. La Manche, en particulier, apparaît comme un territoire emblématique. La BD s'arrête à Ravenoville, dans les marais du Cotentin où l'eau est partout. Pendant longtemps, les inondations ont été attribués au cours d'eau. Les travaux scientifiques montrent aujourd'hui que l'eau vient du dessous. Pour comprendre et objectiver ce phénomène, les chercheurs du programme Rivages Normands 2100 ont mobilisé un outil central: la piézométrie. Dans le cadre de l'étude 35 piézomètres ont été installées entre 2011 et 2024 sur plusieurs territoires normands, notamment dans la Manche et le Calvados. Ces instruments permettent de suivre l'évolution des nappes dans le temps, leur réactivité au pluies hivernales, au périodes sèches, aux marées et à l'élévation du niveau marin.
Martin Le Mesnil, hydrogéologue à l'université de Rennes. La piézométrie permet aussi de détecter des phénomènes plus complexes, comme l'influence de l'eau salée. À plusieurs kilomètres du littoral, certains piézomètres enregistrent une conductivité élevée. " Cela indique que l'eau de mer s'est infiltrée dans les nappes", observe le chercheur. Ces données permettent de documenter la progression du biseau salé (info+)
Info+ Biseau salé : interface inclinée entre eau douce et eau salée, qui se déplace vers l'intérieur des terres avec la montée du niveau de la mer, faisant peser un risque sur l'eau potable.
À partir des données issues des réseaux de piézométrie, les chercheurs ont élaboré des modèles numériques permettant de projeter l’évolution des nappes phréatiques à l’horizon 2030, 2050 et 2100, en intégrant les scénarios climatiques du GIEC.
Dans la Manche et le Calvados, cela représente environ 40 000 bâtiments concernés au moins une fois par an. Les impacts dépassent largement le bâti. "14% des parcelles agricoles, 11% du bâti, 20% des cimetières, 9% du réseau électrique, 12% des réseaux ferrés et 17 % des gares seraient impactés entre trois et neuf mois par an à l'horizon 2050", précise Salomé de Foville.
Face à un phénomène discret , la difficulté ne s'arrête pas à la science. Elle est aussi politique et sociale. Les chercheurs de rivage normands 2100 ont choisi de mener une recherche impliquée, construite avec les territoires. "Plutôt que d'imposer une vérité, on a préféré composer avec l'autre, ajuster le language et les formes pour que la recherche devienne levier de compréhension partagée"
"On ne peut pas mettre de barrières pour bloquer les nappes", rappelle Fréderic Greslin, hydrogéologue à la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal Normandie) . Renaturation, restauration des zones humides, adaptation de l'urbanisme et parfois renoncer à certains projets : il s'agit désormais d'apprendre à habiter autrement des territoires où l'eau reprend sa place. "Ce n'est pas une défaite, mais un changement de paradigme" résume Martin Le Mesnil. La Bande déssinée " Quand les nappes montent " est disponible en lien numérique Ici Source Le Média indépendant Grand Format À lire aussi
Montée des eaux
Face à la montée des eaux , témoignage des premiers délocalisés dans la Manche : "on a laissé nos souvenirs derrière nous"
02/01/2025
Montée des eaux
Le Signal: un symbole face à la montée des eaux
29/01/2024