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Montée des eaux / Adaptation urbaine

Face à la montée des eaux , témoignage des premiers délocalisés dans la Manche : "on a laissé nos souvenirs derrière nous"

Quand la mer monte, le mieux est encore de la laisser entrer. Dans l'ouest de la Manche, du côté de Montmartin-sur-Mer, David Lecordier et sa femme Claudine ont plié bagages. Pour autant y étaient-ils préparés ? Le 19 novembre 2024, le couple a acté la vente de son exploitation agricole, la Ferme des Marais, au Conservatoire du Littoral. Épilogue de six années d’incertitude, entre burn-out et résilience, ces premiers délocalisés du département illustrent les conséquences sociales à venir face à la montée des eaux.

paru le 02/01/2025 par

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Nicolas Vignot

Rédacteur en chef

Les Lecordier ne reviendront plus à la Ferme des Marais près de Montmartin-sur-Mer dans le département de la Manche. "52 ans que j’habite ce lieu ", raconte David Lecordier, qui laisse derrière lui un héritage familiale précieux : la maison de ses parents. En novembre 2024, David et sa femme Claudine se sont résignés à vendre leur exploitation agricole et touristique. " On était en zone rouge. On savait que la mer se rapprochait, au risque de tout perdre", confie-t-il avec amertume.

"Ce ne sont que des rumeurs de journalistes"

Tout commence fin 2018, lorsque les rumeurs commencent à circuler autour de la ferme des Lecordier. " j'entends parler de délocalisation", se souvient David, qui décide de se tourner vers le président de Coutances Mer et Bocage, la communauté de communes en charge, entre autres, d'une partie du littoral ouest manchois. A l'époque, l'édile les rassure: " ce ne sont que des rumeurs de journaliste". Des mois plus tard, la sentence tombe. Le couple d'agriculteurs sont convoqués en juillet 2019 par Emmanuelle Wargon, la secrétaire d'état à la transition écologique de l'époque, sur une plage non loin de leur habitation. Là, ils se retrouvent face à un parterre de journalistes et d'élus locaux. "On s'est regardés avec ma femme et on s'est dit : ça y est on est délocalisés ". La zone rouge, marquant une vulnérabilité critique face à la montée des eaux, ne leur laisse plus de choix. "Ils devront partir ", tranche l'un des élus présents ce jour-là. Bien qu'une inondation en 2008, causée par une rupture d'une digue, les ait alertés des risques, le couple est sous le choc, et ne s'attendait pas à devoir quitter les lieux si rapidement.

Entre incertitude et Burn-out

En novembre la maison est mise en vente. Quelques mois plus tard, en février 2020, la tempête Ciara s'abat sur le littoral manchois, causant d'importants dégâts, notamment du côté de Gouville-sur-Mer, où un camping et une activité de conchyliculture sont menacés de submersion marine. Elisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique, fait le déplacement. Dans le même temps , un rendez-vous est pris avec les Lecordier. Lors de cette rencontre, le Conservatoire du Littoral (info+) se positionne pour acheter la Ferme des Marais. "On aurait dit qu'ils avaient déjà conclu l'affaire entre eux", déplore l'agriculteur. Trois offres sont proposées mais les négociations traînent.

Info+ L'Etat a ainsi décidé de créer en 1975, le Conservatoire du littoral, un établissement public sans équivalent en Europe dont la mission est d'acquérir des parcelles du littoral menacées par l'urbanisation ou dégradées pour en faire des sites restaurés, aménagés, accueillants dans le respect des équilibres naturels.

S'ensuit une longue période pendant laquelle le couple reste sans nouvelles. Ce silence les plonge dans une profonde incertitude. Un employé de Coutances Mer et Bocage finit par leur rendre visite, mais entre-temps, David a subi les contre-coups de cette délocalisation imposée. " j'ai perdu tout mon troupeau de moutons à cause d'un burn-out. Je n'étais plus capable de rien", confie-t-il ému. Ce n'est qu'en 2023, que David Lecordelier parvient enfin à remonter la pente, après des années marquées par l'incertitude et d'épuisement. Le couple finit par accepter l'offre du conservatoire du Littoral, mais souligne "avoir manqué d'un suivi psychologique ". Ils dénoncent l'absence d'un réel accompagnement des pouvoirs publics tout au long du processus. " A part des réunions tous les trois mois qui n'aboutissaient à rien, on était livrés à nous-mêmes", déplore le couple. Si le montant de la vente reste encore confidentiel, Les Lecordier regrettent le manque de transparence dans les estimations effectuées par France Domaine, un flou qui n'a fait qu'ajouter à la frustration. " le montant n'est pas à la hauteur des bâtiments agricoles de la Ferme des Marais, dans les prix les plus bas. Je communiquerai là-dessus plus tard ", promet l'exploitant. Aujourd'hui, le couple affirme avoir " laissé leurs souvenirs derrière eux " et s'être tourné vers l'avenir. Grâce à la vente de leurs biens et une aide régionale obtenue via le dispositif " Notre littoral pour demain", ils nourrissent l'espoir de lancer une nouvelle activité liée au tourisme dans le département. Cette fois, loin de la mer. " Des aides existent pour les professionnels comme nous, mais pour les maisons des particuliers, c'est encore autre chose ", conclut David Lecordier.


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