Gestion de l'eau
Nestlé Waters: l'autre procès des décharges plastiques de Vittel
21/11/2025
Présentée comme une évidence géologique, l’eau minérale naturelle repose sur une promesse juridique stricte. À Vergèze, les révélations sur les pratiques de filtration de Perrier, les contaminations répétées et les décisions administratives ont fissuré ce récit. Derrière une étiquette inchangée, c’est la définition même de la naturalité qui vacille.
Par Nicolas Vignot
Paru le 17/12/2025
L'étiquette déroule son récit au premier regard. Depuis 1863, Perrier prend sa source à Vergèze dans le département du Gard, en région Occitanie. L'étiquette n'est pas un simple auto-collant, elle incarne une marque, une identité, un produit. " Eau minérale naturelle": une appellation qui saute aux yeux sur les bouteilles Perrier. "Minérale", parce que l'eau est issue d'une nappe souterraine protégée. "Naturelle", parce qu'elle ne peut faire l'objet d'aucune correction microbiologique et doit être exempt de tout artifice de désinfection. Ces deux mots résonnent comme un gage de confiance pour le consommateur. Ils ne relèvent pas d'un slogan marketing, mais d'une qualification strictement définie par la loi. Au dos de la bouteille, une carte d’identité chimique stable détaille la composition de l’eau. Des chiffres et des ions. Une minéralité déclinée entre calcium, magnésium, sodium, sulfates, résidu sec. "Une eau capturée à la source", indique l’étiquette, accompagnée de la mention "avec adjonction de gaz carbonique". Un procédé assumé, encadrée et limitée, rendu possible par la directive européenne 2009/54/CE relative aux eaux minérales naturelles. Aucun autre ajout de ce type n'est autorisé.
L'affaire Perrier, telle qu'elle a été révélée par les enquêtes conjointes du Monde et de Radio France, puis documentée par les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire, ne relève pas d'une simple tension règlementaire. Elles dénoncent l'usage de traitements de purification incompatibles avec l'appellation "eau minérale naturelle", notamment "des procédés de microfiltration fine et désinfection", employés pour corriger des contaminations microbiologiques répétées sur la source de Vergèze. Or le coeur du statut d'eau minérale naturelle repose sur une exigence non négociable. L'eau doit être saine à la source, sans désinfection. Dès lors qu'une eau doit être corrigée pour satisfaire aux critères microbiologiques, elle sort de facto du cadre qui fonde cette appellation. Les traitements mis en oeuvre pour maintenir la commercialisation de Perrier ne relève pas d'ajustements marginaux. Ils constituent une infraction aux règles encadrant les eaux minérales, telles que définies par le droit européen (directive 2009/54/CE) et le code de la santé publique. C’est précisément pour cette raison que la préfecture du Gard a mis en demeure, le 7 mai 2025, le propriétaire de la marque Perrier, Nestlé Waters, de retirer les dispositifs de microfiltration à 0,2 micron utilisés sur le site de Vergèze. Ces équipements ont été jugés non conformes à la réglementation applicable aux eaux minérales naturelles, car susceptibles de modifier le microbisme de l’eau.
Revenons à l'étiquette. "Eau minérale naturelle." Une distinction qui garantit une eau naturellement potable à l'émergence. Le droit autorise certains procédés chimiques limités, mais interdit toute correction microbiologique. À partir du moment où de tels traitements sont nécessaires, la promesse change de nature. L'étiquette affichée ne correspond plus à la réalité du processus. Elle devient un écran. L'arbre qui cache la forêt. Derrière la face cachée de l’étiquette se dessine une série de contaminations microbiologiques, principalement bactériennes, relevées à répétition sur le site de Vergèze. Cette chronologie d’incidents, documentée en 2025, a conduit Nestlé Waters, à suspendre temporairement certaines productions. La dernière en date remonte à la fin du mois de novembre 2025, lorsque les deux derniers forages encore exploités ont été suspendus après la détection de nouvelles contaminations bactériennes, comme l’a révélé la cellule d’investigation de Radio France le 3 décembre. Si l’étiquette raconte une ressource naturelle, l’affaire Perrier a mis au jour une fraude à la filtration. Et elle n’est pas un cas isolé. Les enquêtes journalistiques et les travaux parlementaires ont montré que plusieurs producteurs d’eaux en bouteille ont eu recours à des procédés de filtration ou de traitement incompatibles avec le statut revendiqué, afin de faire face à des contaminations de la ressource. Au-delà du groupe Nestlé Waters, le groupe Alma, propriétaire notamment de marques d’eaux de source comme Cristaline, a lui aussi été cité dans des enquêtes pour des pratiques de traitement contestées, illustrant un problème plus large au sein de l’industrie des eaux embouteillées face à la dégradation des captages
Que vaut une promesse de naturalité, quand derrière l'étiquette, la conformité repose sur des pratiques qui enfreignent la loi? Face à ces révélations, l'UFC-Que Choisir a tenté de faire suspendre la commercialisation de Perrier sous l'appellation " eau minérale naturelle". L'association de défense des consommateurs estime les pratiques mises à jour incompatibles avec l'appellation. Le 18 novembre 2025, le tribunal judiciaire de Nanterre a toutefois rejeté la demande de l’association, jugeant que l’UFC-Que Choisir n’apportait pas la preuve d’un danger sanitaire immédiat pour les consommateurs, condition nécessaire à une suspension en urgence. Si l’usine Perrier utilise désormais une microfiltration moins fine, à 0,45 micron ( soumise à autorisation), sur ses deux forages, le préfet du Gard doit se prononcer d’ici la fin du mois de décembre sur le maintien de l’appellation " eau minérale naturelle". Pour le moment l'étiquette reste immuable et la bouteille Perrier poursuit sa course dans les supermarchés, comme si rien n'avait vraiment changé. "La force de l'eau vient de sa source ", dit un dicton persan. Ce n'est peut-être plus le cas pour Perrier et son étiquette.