Portrait
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Water Guette a rencontré Claude Lemesle dans son appartement parisien. Auteur de 4000 chansons, il a signé des refrains devenus incontournables comme "L’Été indien" ou "Si tu n'existais" interprétée par Joe Dassin. Mais au-delà des ces succès populaires, son écriture s’aventure aussi vers des horizons plus sombres. En 2017, il compose pour Michel Sardou La Colline de la soif, une chanson restée discrète mais dont la résonance écologique apparaît aujourd’hui avec force.
Par Nicolas Vignot
Paru le 22/08/2025
Son nom ne vous dit peut-être rien. Et pourtant, Claude Lemesle est l’auteur de près de 4 000 chansons, dont 1 500 ont été enregistrées par les grandes voix de la chanson française telles que Joe Dassin, Michel Sardou, Serge Reggiani, Serge Lama, Carlos, Dalida, Gilbert Bécaud entre autres. Des refrains devenus patrimoine commun, de L’Été indien à Et si tu n’existais pas, en passant par À toi ou Le dernier slow. À 79 ans, il continue d’écrire, en toute discrétion, loin des projecteurs. Parmi cet immense répertoire, une chanson restée dans l'ombre attire aujourd’hui l’attention de notre média: La Colline de la soif.
Derrière chaque chanson se cache une histoire, parfois inattendue. En 2016, Claude Lemesle se voit proposer d’écrire plusieurs titres pour le nouvel album de Michel Sardou, en collaboration avec le compositeur et ami Pierre Billon. Au moment d’esquisser les premières lignes mélodiques, l’exercice classique du "yaourt", ces syllabes sans signification destinées à asseoir une ligne vocale, fait surgir le mot "soif " . Il devient aussitôt le déclencheur d'une trame narrative chez Claude Lemesle :
Je vois tout de suite une colonne d’hommes et de femmes, avançant difficilement sur une colline aride, les lèvres sèches, et le ciel d’un bleu implacable."
→ Claude Lemesle, auteur parolier
De cette vison naît la Colline de la Soif, un texte sombre et quasi prophétique, qui évoque un monde où l'eau se fait rare et où les êtres humains errent, épuisés, sur une terre aride. Si la chanson trouve sa place dans l'album, le choix du fou de Michel Sardou, la Colline de la Soif passe presque inaperçue. L'actualité ne mettait pas encore la question de l'eau au centre des préoccupations comme maintenant. Avec le recul, les paroles de Claude Lemesle prennent une résonance particulière dans un monde confronté aux sécheresses, aux tensions sur la ressource, aux pollutions des eaux potables et à l'acidification des océans. Comme une prémonition, il écrivait en 2017:
Il n'y a plus d'eau aux Bermudes, tout est mort du nord au sud, la terre entière est à sec, c'est la nature enfin qui juge, mais après moi le déluge, des assoiffeurs de varech, ils ont pollué, pollué, pollué, océans assassinés, Fleurs et dauphins décimés...
→ Claude Lemesle, Auteur-Parolier, ( extrait La colline de la soif 2017)
Si La Colline de la soif prend aujourd’hui valeur de prophétie, elle s’inscrit dans une trajectoire où Claude Lemesle a toujours mis son écriture au service d’émotions collectives. Né en 1945 à Paris, le futur parolier écrit ses premiers poèmes dès l’enfance. La chanson viendra plus tard, à l’adolescence, alors qu’il suit des études en hypokhâgne puis en khâgne. Élève appliqué mais réservé, il chante ses premiers textes devant ses camarades. Encouragé, le jeune Claude rejoint l'émission de télévision, le Petit Conservatoire de Mireille, puis les cabarets parisiens des années 1960, où il côtoie Jean-Michel Rivat, Michel Mallory, Étienne Roda-Gil ou encore Barbara et Pierre Delanoë. C’est là qu’il affine son style avant de croiser la route de Joe Dassin, pour qui il signera avec Jean-Michel Rivat ou Pierre Delanoë une série de succès populaires tels que L’Amérique, Et si tu n’existais pas ou encore l’emblématique L’Été indien. Derrière ces refrains légers et romantiques, l’écriture de Claude Lemesle laisse pourtant apparaître une veine plus grave, plus sombre, qui trouvera son expression la plus forte dans La Colline de la soif.
Une complicité de plus de dix ans unissait le chanteur Joe Dassin et Claude Lemesle (1967–1979, photo collection personnelle Claude Lemesle) Si l'auteur mesure la portée symbolique de La colline de la soif , il revendique aussi une sensibilité face aux périls écologiques. "Oui j'ai un engagement humain par rapport à l'écologie et aux dangers que court notre planète. Là, j'enfonce des portes ouvertes, mais bon, c'est sûr qu'il y a quand même péril en la demeure, et il serait temps qu'on s'en préoccupe. L'eau n'est pas le seul problème, mais sans doute l'un des plus urgents. Comme beaucoup de ressources elle s'affaiblit. Je ne prétends pas être un spécialiste mais mon sentiment, c'est que les pouvoirs publics devraient s'en préoccuper sans attendre." Claude Lemesle insiste sur l'importance d'une prise de conscience collective . Une vigilance qui s'exprime aussi dans son quotidien. "Je ne prends jamais de bain. je me contente d'une douche froide chaque matin, été comme hiver. Forcément ça les écourte un peu. Je fais attention à ne pas gaspiller l'eau. je crois que la sauvegarde de cette matière première indispensable passe aussi par ces petits gestes. les petits ruisseaux font les grandes rivières ", rappelle-t-il. Au delà de ses gestes quotidiens, c'est dans la colline de la Soif que cette vigilance trouve son écho le plus saisissant. Derrière une métaphore écrite il y a presque dix ans, Claude Lemesle livrait déjà une alerte qui prend aujourd'hui tout sons sens.
Ils avancent, ils vont vaille que vaille, robots cernés de rocailles, sur la colline de la soif , ce ne sont plus vraiment des hommes, ils s’appellent tous personne, et supplient sans trop y croire, le ciel bleu d’avoir, avant ce soir, la bonté ou le courage de pleuvoir.
→ Claude Lemesle, auteur-parolier( Extrait La colline de la soif 2017)