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Montée des eaux / Causes et facteurs

L'avenir du littoral face aux risques côtiers : "des décisions doivent être prises dès maintenant"

Lors d’une conférence tenue le 18 janvier 2025 à Agon-Coutainville, dans le département de la Manche, Jean-Philippe Lacoste a partagé son expertise sur l’avenir du littoral face aux risques côtiers. Président de l’Union Européenne de la Conservation Côtière et ancien délégué du Conservatoire du Littoral de Normandie, il a alerté sur les défis majeurs auxquels les populations du littoral devront faire face dans les décennies à venir. Entre subir, résister ou s’adapter, les choix politiques ne peuvent plus attendre. Alors que les premiers signes tangibles du réchauffement climatique se manifestent, il est urgent d’anticiper les mutations du littoral et de repenser son aménagement dès aujourd’hui.

paru le 09/02/2025 par

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Nicolas Vignot

Rédacteur en chef

L’horizon 2100 se rapproche et l’ampleur du défi impose une réflexion immédiate sur l’avenir du littoral. Le 18 janvier 2025, à l’espace culturel d’Agon-Coutainville, Jean-Philippe Lacoste, président de l’Union Européenne de la Conservation Côtière, a alerté sur l’urgence de la situation devant une salle comble. Pendant plus d’une heure, il a dressé un état des lieux sans équivoque : "Nous ne sommes pas ici pour regarder en arrière, mais pour anticiper l’avenir. L’un des défis majeurs qui nous attend tous est la gestion des risques côtiers. ". Dès le début de son intervention, il a rappelé une évidence : " Le premier danger, nous le connaissons et l’observons chaque jour : c’est l’érosion côtière."

Erosion côtière: un phénomène naturel accéléré

Depuis toujours, le littoral fascine les sociétés humaines. Autrefois évité pour son insalubrité et les risques d’invasions, il est aujourd’hui l’un des espaces les plus convoités au monde. 40 % de la population mondiale vit à proximité des côtes où la densité d'habitants est souvent deux fois plus élevée que dans les terres. En France, l'attractivité du littoral remonte à la fin du 19e siècle. Il a surtout explosé entre les deux guerres avec les congés payés, la mode du camping, et a fait naitre toute une série de stations balnéaires, notamment sur les côtes normandes, comme Cabourg, Deauville et autres... C'est à partir des années 1970 que l'urbanisation côtière s'est accélérée, marquant une rupture avec la dynamique des littoraux. Cette modification des équilibres a conduit à une fragilisation des côtes, et de leurs écosystèmes , accentuant le phénomène d'érosion. C'est à ce moment-là que l'on a commencé à s'inquiéter des premières défenses contre la mer. "À cette époque, on pensait que les côtes meubles (sableuses) étaient très stables, mais elles se sont révélées fragiles" , raconte Jean-Philippe Lacoste. L'érosion côtière est un phénomène naturel, lent et prévisible, bien que les tempêtes puissent en accélérer le processus. "L'érosion ne constitue pas encore un risque immédiat', précise Jean-Philippe Lacoste, qui ajoute : 'Les plages peuvent se reformer naturellement après des hivers sans tempêtes, notamment sur les côtes sableuses. En revanche, lorsqu'une falaise s'effondre, elle ne peut pas se reconstituer." Un autre facteur participe au phénomène d'érosion: l'extraction massive de sable. Selon l'ONU, 50 milliards de tonnes de sable sont consommées chaque année dans le monde , soit l'équivalent d'un million de camions bennes par jour. En France, ce sont 341 millions de m3 qui disparaissent chaque année, compromettant la régénération naturelle des côtes. "Nos glaciers ne fournissent plus de sédiments aux rivières et aux fleuves, or c’est de là que provient notre stock. Nous exploitons donc une ressource limitée, ce qui entraîne une pénurie de sable et de galets." En France, 317 communes sont officiellement classées à risque d'érosion côtière dont 41 dans le département de la Manche. " ça représente la moitié du nombre réel de communes qui enregistre une érosion côtière relativement active ", souligne Jean Philippe Lacoste. Alors pourquoi seulement 317 ? Cette inscription sur une liste officielle relève de la décision des conseils municipaux. " Pour être inscrit, il faut en faire la demande".

La conférence du 18 janvier 2025 à Agon-Coutainville était organisée par l'association CCHL.

Les aléas climatiques, un risque imprévisible

Si l'érosion est un processus lent et prévisible, la submersion marine, elle, peut frapper brutalement et de manière imprévisible. "Tout le monde a encore en mémoire la tempête Xynthia", rappelle l'ancien délégué du Conservatoire du Littoral de Normandie. Ce phénomène extrême résulte d'une conjonction de facteurs : l'envahissement des zones basses par la mer, associé à des inondations continentales qui, bloquées par des ouvrages de protection (digues, enrochements) ou une marée haute, ne peuvent plus s'évacuer. La tempête Xynthia a mis en lumière la gravité de ce risque : L'essentiel des dégâts et des pertes humaines a été constaté dans les quartiers situés derrière les défenses contre la mer. Le risque en lui-même n'est qu'un aléa – tempête, éboulement, submersion. L'enjeu, en revanche, réside dans ce qui est exposé à ces phénomènes : les habitations, les populations, les cultures. Sans présence humaine ou infrastructures, il n’y a pas de véritable enjeu. Le danger apparaît lorsque l’aléa rencontre un enjeu, transformant ainsi un phénomène naturel en catastrophe humaine et matérielle." Selon Météo-France, "la fréquence et l'amplitude des vents forts et des tempêtes (hors tropiques)" devraient augmenter d'ici la fin du siècle dans le nord, l'ouest et le centre de l'Europe. " Nous devrions en voir davantage, et elles seront plus violentes ", prévient le président Lacoste, mettant en garde contre des tempêtes susceptibles de cumuler trois facteurs de risque majeurs : l’orientation de la dépression, un fort coefficient de marée et la surcote associée à la dépression.

Et le dérèglement climatique..

D'autres phénomènes sont à surveiller, notamment la montée du niveau de la mer. "Nous avons actuellement un niveau moyen de la mer. Une fois par an, il peut atteindre un niveau supérieur, une fois par décennie, il monte encore davantage, et une fois par siècle, il peut atteindre le niveau des habitations. Avec la montée des eaux, toutes ces limites vont progressivement se décaler vers le haut. " explique Jean-Philippe Lacoste. Ainsi, les maisons, qui n’étaient touchées qu’une fois par siècle, pourraient l’être une fois par décennie. Sur de nombreuses portions du littoral, chaque marée haute de vive-eau, lorsqu’elle est associée à une tempête, risque d’avoir des conséquences négatives sur l’habitat. L’élévation du niveau marin entraîne également la salinisation et la remontée des nappes phréatiques côtières. "Dans la Manche et le Calvados, la salinisation des captages d’eau devient de plus en plus préoccupante, au point que certains doivent être abandonnés.". Le phénomène de remontée du biseau salé sur la bande côtière s’accentue, notamment du côté de Ouistreham (Calvados), où les marais gonflent de manière significative en période de haute mer. "Ce phénomène inquiète déjà les agriculteurs de la baie du Mont-saint Michel." Paradoxalement, ce sont les polders les plus anciens et situés en retrait du littoral qui seront les premiers touchés par la remontée des eaux et la salinisation. Certains captages agricoles deviennent ainsi impropres à l’usage.

Les conséquences à l'orée 2050 et 2100

En 2023, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), a été chargé d'établir un bilan des dommages prévisibles sur le littoral. D’ici 2050, les impacts restent relativement contenus : environ 600 hectares d’habitations seraient touchés par les risques côtiers, contre 6 300 hectares d’espaces naturels, forestiers et agricoles. "Cela représente 5200 logements, pour une valeur avoisinant le milliard d’euros, ainsi que 1 100 locaux d’activités, estimés à plusieurs centaines de millions d’euros." Dans ce cadre, l’État ou les collectivités nationales pourraient encore envisager des indemnisations ou des mesures de prévention.", a précisé le président de l'union européenne de la conservation côtière. En revanche, à l’horizon 2100, les perspectives deviennent bien plus préoccupantes. Ce sont alors 40 000 hectares d’espaces urbanisés qui seraient menacés, ainsi qu’un demi-million d’hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers. "Si certaines zones, comme les dunes, conservent une valeur biologique et peuvent se reconstituer, les terres agricoles et forestières ne sont pas remplaçables." À cette échéance, ce sont 450 000 logements qui seraient concernés, avec des pertes estimées à plus de 84 milliards d’euros. À cela s’ajoutent de nombreux locaux d’activités, des bâtiments publics, près de 2 000 km de routes structurantes – notamment des routes départementales à fort trafic – ainsi que 250 km de voies ferrées. À ce stade, les enjeux deviennent considérables et difficiles à maîtriser.

Quelles stratégies pour demain ?

Face à ces défis, les réponses oscillent entre la protection active et l’adaptation. Historiquement, la construction de digues et d’ouvrages de défense a été privilégiée. Mais ces solutions montrent leurs limites : "elles nécessitent des investissements colossaux et ne font que repousser le problème en déplaçant l’érosion vers d’autres zones." L’adaptation, quant à elle, implique des choix plus radicaux. La renaturation de certains espaces, la réimplantation de dunes et la relocalisation progressive des habitations les plus exposées sont autant de pistes envisagées. Plusieurs expériences en cours en France et en Europe montrent qu’un retour à des solutions fondées sur la nature peut être plus efficace à long terme que les ouvrages tels que sont les digues et enrochements. "Le village de Treffiagat dans le Finistère vient de racheter 7 maisons pour les démolir et éviter de continuer à enrocher la dune qui est en déficit sédimentaire". Au-delà des aspects techniques, la transformation du littoral pose une question cruciale : comment intégrer ces bouleversements dans notre manière d’habiter et de gouverner ces territoires ? La gestion des risques côtiers est aujourd’hui largement confiée aux collectivités locales ( GEMAPI), mais sans financements suffisants. De plus, les populations concernées sont parfois réticentes à accepter des changements radicaux, comme l’illustre la difficulté à reloger certaines communautés littorales, notamment à Biscarosse dans les Landes. "Une copropriété de 19 logements et un hôtel ont été rattrapés par l'érosion, mais les gens ne veulent pas partir", relate Jean-Philippe Lacoste. Le littoral est à un moment charnière de son histoire. "Le constat est clair : des décisions doivent être prises dès maintenant pour éviter qu’une crise annoncée ne se transforme en catastrophe." Alors que les compagnies d’assurance se désengagent face à l’ampleur des risques climatiques, les rares pistes de financement envisagées par le gouvernement ont été abandonnées dans le tumulte politique de la dissolution. L’urgence est là, mais les moyens restent à trouver.


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