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Gestion de l'eau / Qualité de l'eau

PFAS: à Paris l'eau potable est 100 % conforme,...mais à quel prix ?

L'eau potable de Paris est conforme, et c'est une bonne nouvelle. Mais derrière cette qualité, le coût des traitements grimpe chaque année un peu plus, notamment à cause des substances per-et polyfluoroalkylées (PFAS). Le 24 juin 2025 lors d'une conférence citoyenne à Paris, Eau de Paris a alerté , entre prévention et action judiciaire, la régie publique veut faire bouger les lignes. Car à l'heure où la ressource se raréfie et où la loi Duplomb rouvre la porte aux pesticides interdits, une question s'impose: qui paiera demain pour que l'eau de nos robinets reste potable ?

paru le 01/07/2025 par

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Nicolas Vignot

Rédacteur en chef

image d'un verre d'eau et d'un panneau attention PFAS

"L’eau que vous buvez à Paris est 100% conforme aux normes sanitaires", atteste Dan Lert, le président de la régie publique Eau de Paris, lors d’une conférence citoyenne tenue le 24 juin dans le 4ᵉ arrondissement. Une déclaration étayée, chiffres à l’appui : "sur les 20 substances PFAS recherchées en 2024, seules six ont été détectées, à des niveaux très faibles", a-t-il précisé. Alors oui, l’eau du robinet dans la capitale est de bonne qualité et le restera en 2026. Un résultat que la régie publique attribue à une politique volontariste, reposant à la fois sur l’efficacité des traitements mis en place et sur une stratégie de prévention en amont. Plus d'une centaine d’agriculteurs installés sur les zones de captage ont été sensibilisés, avec pour résultat, une réduction de 77 % de l’usage de pesticides. Mais derrière ces bons chiffres, une autre pollution plus complexe, se dessine . Si les analyses de 2024 sont rassurantes, elles ne couvrent qu’une infime partie des polluants en circulation. Des milliers d’autres substances chimiques, PFAS non recherchés, pesticides et émergents ou résidus non réglementés , échappent encore aux radars. Ce qui interroge sur les limites du contrôle sanitaire actuel. Parmi ces polluants invisibles figure le TFA, ou acide trifluoroacétique. Détecté par Eau de Paris lors de ses analyses et recherches, ce composé, issu de la dégradation de certains pesticides, s’infiltre dans notre quotidien : "on le retrouve dans les jus de fruits, le vin… mais aussi dans les nappes phréatiques", alerte le président de la régie publique. Encore absent des seuils réglementaires, il se diffuse pourtant partout, silencieusement. Une pollution insidieuse, aux coûts de traitement en constante hausse.

Loi PFAS : ce que ça change concrètement

La loi n° 2025-188 du 27 février 2025 entend encadrer leur usage et mieux protéger la population. Voici les trois mesures clés à retenir : 1) Contrôle sanitaire renforcé De nouvelles substances seront intégrées au contrôle sanitaire de l'eau potable, au delà des 20 substances PFAS identifiées par la directive Eau potable. 2) Réduction drastique des rejets industriels L'Etat doit adopter une trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux de PFAS par les installations industrielle, visant à les cesser dans cinq ans. 3) Financer la dépollution Un plan d'action interministériel pour le financement de la dépollution de l'eau par les collectivités chargées de l'eau et de l'assainissement doit être adopté.

Des milliards pour dépolluer, sur le dos des citoyens ?

À ce jour, l'augmentation des coûts des traitements contre les PFAS " reste encore quasi invisible sur la facture du consommateur ", assure Benjamin Gestrin, le directeur général de la régie de Paris. Une hausse des dépenses qui a toutefois engendré un surcoût de plus de deux millions d'euros pour la seule année 2024, sans compter que le charbon actif, utilisé pour filtrer ces polluants, est importé à 90% de Chine. Une facture qui pourrait encore grimper prévient Benjamin Gestrin , "si les normes sanitaires venaient à être renforcés, des investissements plus lourds, de l'ordre de plusieurs milliards d'euros, pourraient s'avérer nécessaires, avec à la clé un risque de hausse du prix de l'eau ." Dès lors, Eau de Paris estime que ces coûts supplémentaires ne devraient pas être supportés par les usagers, mais doivent être pris en charge par les pollueurs. "La régie demande l’application stricte et sans délai du principe " pollueur-payeur." Face à cette situation l'opérateur a déposé une plainte contre X, le 28 mars 2025, pour pollution de son réseau , atteinte à l'environnement et déversement de substances toxiques. L'objectif est clair, faire reconnaître la responsabilité des industriels dans cette pollution et les contraindre à assumer financièrement les conséquences.

Le droit, une arme au service du bien commun

Pour Eau de Paris, l'affaire dépasse la seule question de la conformité, il s'agit d'un combat de justice autant que de santé publique. " Ce n'est pas aux collectivités , ni aux services publics, ni aux usagers de l'eau de financer cette pollution dont ils ne sont pas responsables ", plaide Dan Lert. Aujourd'hui encore, ce sont les budgets publics qui assurent la continuité du service, mais pour combien de temps ? En portant plainte contre X, la régie publique parisienne passe un cap. Car les pollueurs doivent être identifiés, poursuivis et contraints de réparer. Si le droit peut devenir une arme au service du bien commun, alors il faut s'en saisir pleinement. " Le parquet de Paris dispose de moyens d'investigation que ni les collectivités, ni les opérateurs de l'eau ne possèdent. " La régie espère ainsi, que la justice ouvre enfin l'accès à une cartographie précises des filières polluantes. L'exemple de la Vallée de le Chimie en Rhône Alpes constitue un laboratoire d'actions en justice contre les industriels pollueurs. L'association Notre Affaire à Tous a déposé une première action en 2023, pour contraindre Arkema de stopper ses rejets, mais la cour d'appel de Lyon l'a rejeté pour des raisons procédurales. D'autres procédures se sont engagées, notamment une action en expertise obtenue par la Métropole de Lyon et le syndicat mixte d'eau potable. Cette expertise, menée jusqu'en 2026, doit déterminer quels PFAS ont été produits, et contribuera à identifier les responsabilités et à documenter l'imprégnation environnementale. Pendant que la température grimpe, la réglementation recule. À l'heure où la canicule assèche les nappes phréatiques et que la loi Duplomb rouvre à des substances interdites, l'eau potable devient un terrain de lutte. La question n'est plus seulement, est-elle conforme? Mais plutôt jusqu'à quand pourra-t-elle le rester et à quel prix?


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