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Gestion de l'eau / Conservation de l'eau

Attention ! l'eau prélevée n'est pas forcément consommée, on vous explique...

Notre premier volet pédagogique est consacré aux prélèvements d’eau et à leurs multiples usages en France. Mais comment différencier prélèvement et consommation ? Si ces deux notions sont souvent confondues, elles ont des implications bien distinctes. Entre énergie, agriculture, industrie et production d’eau potable, le prélèvement d'eau repose sur une organisation complexe, intégrant captage, usage et restitution. Dans un contexte de réchauffement climatique, comprendre ces mécanismes devient essentiel pour mieux appréhender les défis liés à la gestion de l'eau.

paru le 10/01/2025 par

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Nicolas Vignot

Rédacteur en chef

Comprendre les usages de l’eau, c’est un peu comme comprendre les codes d’une société : on peut les maîtriser ou non. En France, la gestion de l’eau repose sur une organisation qui distingue clairement prélèvement et consommation. Le prélèvement correspond au volume d’eau capté dans les eaux de surface ( rivières, lacs) ou souterraines ( nappes phréatiques). Ces deux notions, souvent confondues dans le débat public, sont pourtant distinctes et ont des implications écologiques et économiques différentes. Bien que prélèvement et consommation soient intimement liés – l’un ne va pas sans l’autre –, ils diffèrent fondamentalement : le prélèvement restitue une partie de l’eau captée dans le milieu naturel, tandis que la consommation correspond à une eau absorbée ou perdue, notamment par évaporation ou incorporation dans des produits ou processus.

Qui prélève et pourquoi ?

Pour répondre aux besoins de différents usages et activités humaines, les prélèvements d'eau sont réalisés dans les milieux. L'eau prélevée permet non seulement de produire l'eau potable indispensable à la vie de tous, et répondre aux autres besoins. En France, le prélèvement d’eau est organisé selon des usages spécifiques : domestique, industriel, agricole, navigation et énergie. Selon les chiffres de la Banque Nationale des Prélèvements Quantitatifs en Eau (BNPE), "82 % de l’eau prélevée provient des eaux de surface, telles que les rivières et les lacs, tandis que les 18% restants sont issus des eaux souterraines ". Ce recours majoritaire aux eaux de surface s'explique par le coût réduit du captage. Cependant, pour produire de l'eau potable destinée à la consommation humaine, les eaux souterraines restent souvent privilégiées. Les nappes phréatiques sont à priori moins exposées aux pollutions externes. Les prélèvements se font via différents dispositifs appelés « ouvrages de prélèvement ». Ils peuvent prendre la forme de pompes placées en bord de cours d’eau, de puits domestiques pour les usages locaux, ou encore de champs captant composés de plusieurs forages dans une même nappe phréatique. Pour certains besoins spécifiques, comme le refroidissement des centrales nucléaires, il est parfois nécessaire d’utiliser de l’eau saumâtre ou salée. C’est le cas de la centrale nucléaire EPR de Flamanville, située en bord de mer dans le département de la Manche, qui utilise l’eau de mer pour assurer le refroidissement de ses réacteurs.

Les bassins versants adaptés aux besoins locaux

Les volumes d’eau prélevés sont répartis à travers les sept grands bassins versants (Info+): Rhône-Méditerranée, Adour-Garonne, Loire-Bretagne, Seine-Normandie, Artois-Picardie, Rhin-Meuse et Corse. Chaque bassin possède ses particularités géographiques, économiques et climatiques, qui influencent la nature et la quantité des prélèvements nécessaires pour répondre aux besoins locaux. Une étude réalisée par France Stratégie basée sur l'année 2020, met en lumière des disparités marquées selon les usages et les activités dans les régions, dont voici certains exemples: Le secteur de l’énergie, qui représente à lui seul 47 % des prélèvements d’eau en France, est particulièrement important dans le bassin Rhône-Méditerranée. "À lui seul, ce bassin concentre 80 % des prélèvements liés à l’activité énergétique ", précise France Stratégie. En ce qui concerne l’eau potable, le bassin Seine-Normandie se distingue, "avec 28 % de la population française résidant sur son territoire, il affiche logiquement les prélèvements les plus élevés dans ce domaine ". L’agriculture, quant à elle, est un autre grand utilisateur de la ressource en eau. Les prélèvements agricoles varient d’une année à l’autre selon les conditions météorologiques, et se concentrent principalement dans les bassins Rhône-Méditerranée, Loire-Bretagne et Adour-Garonne, "qui réunissent 87 % de l’eau utilisée pour l’irrigation ". Enfin, les prélèvements pour les canaux sont essentiellement présents dans les Bassins Seine-Normandie et Rhône-Méditerranée. Chaque bassin dispose d’organismes de gestion appelés " Agence de l'eau" pour surveiller les volumes prélevés, prévenir les périodes de stress hydrique et s’assurer d’une répartition équilibrée entre les différents usages.

Info+ Le bassin versant est le territoire sur lequel tous les écoulements des eaux convergent vers un même pointl’exutoire de ce bassin. Les limites séparant deux bassins versants sont appelées lignes de partage des eaux et sont constituées des sommets qui séparent les directions d’écoulement des eaux de ruissellement. Ainsi, chaque goutte qui tombe ou arrive sur le bassin versant d’un cours d’eau, aura pour destination finale l’exutoire de ce cours d’eau.

On vous résume ! 31 milliards de mètres cubes d'eau prélevés par an en France se répartissent entre plusieurs secteurs: - le secteur énergétique : 47 % pour refroidir les centrales nucléaires. - Eau domestique : 14 % alimentation en eau potable - Canaux : 18 % alimentation des canaux - industries et construction : 8 % - l'agriculture : 11 % irrigation et élevage - Tertiaire marchand et non marchand : 1% blanchisserie industrielles, commerces de gros, bureaux.. - Loisirs : 1% thermes, production de neige artificielle, golf, etc

Les effets de la restitution de l'eau prélevée

Restituer l'eau prélevée dans le milieu naturel peut sembler être une pratique responsable. Pourtant, "cette approche n'est pas sans conséquences pour les écosystèmes", souligne France Stratégie dans son rapport. Bien que l’eau retourne en partie à son environnement d’origine, plusieurs facteurs peuvent perturber l’équilibre écologique et compromettre la biodiversité aquatique. Dans le secteur industriel, l’eau restituée contient souvent des résidus de matières organiques, des métaux lourds ou des polluants chimiques. Même à faibles concentrations, ces rejets nuisent à la qualité de l’eau et affectent la faune et la flore aquatiques. Ces substances perturbent les écosystèmes fragiles, créant des déséquilibres difficiles à corriger à long terme. Les industries énergétiques et certains procédés industriels utilisent de grandes quantités d’eau pour le refroidissement des équipements. Lorsqu’elle est restituée, cette eau est souvent plus chaude qu’à son point de captage. Ce réchauffement thermique, même modéré, peut avoir des répercussions graves : il modifie les conditions de vie des espèces aquatiques, rend l’eau impropre à d’autres usages et affecte les écosystèmes en aval. Il arrive que l’eau prélevée soit restituée dans un environnement différent de celui où elle a été captée. Ce transfert modifie les cycles hydrologiques locaux et prive certaines zones de la ressource en eau, affectant notamment les nappes phréatiques et les écosystèmes qui en dépendent. La restitution de l’eau n’est pas toujours immédiate. Les décalages temporels entre le prélèvement et le retour dans le milieu naturel créent des périodes de stress hydrique pour les écosystèmes locaux. En période de sécheresse ou de forte demande, cette absence temporaire d’eau peut avoir des conséquences graves, notamment sur les habitats sensibles tels que les zones humides.

Comment recense-t-on les prélèvements ?

En France, la gestion des prélèvements d’eau dans les milieux naturels repose sur la Banque Nationale des Prélèvements Quantitatifs en Eau (BNPE), pilotée par l’Office Français de la Biodiversité. Cet outil recense les volumes captés par cinq grands secteurs : production d’eau potable, usages industriels, agriculture, canaux fluviaux et refroidissement des centrales électriques. Seuls les préleveurs captant plus de 10 000 m³ par an ou 7 000 m³ dans les zones sous tension doivent déclarer leurs prélèvements. Bien que la BNPE offre une vision globale des volumes prélevés, une partie importante des usages échappe à ce suivi. France Stratégie alerte "sur les nombreux forages domestiques non déclarés, dont les volumes captés restent souvent inférieurs aux seuils de déclaration." Cette absence de recensement complique la gestion précise de la ressource en eau, surtout dans les zones déjà fragilisées par le stress hydrique. Si ces forages ne représentent qu’une fraction des prélèvements globaux, leur impact cumulé peut devenir préoccupant, notamment en période de sécheresse.


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