Portrait
Pierre Dugowson: l'engagement comme "film" conducteur
08/05/2025
paru le 22/05/2025 par
Rédacteur en chef
Début 2024, le scandale Nestlé Waters a révélé l’usage de traitements interdits et des forages non autorisés dans plusieurs usines du groupe en France. L’affaire, relayée par une commission d’enquête sénatoriale, a pointé "une stratégie délibérée de contournement réglementaire, doublée d’une dissimulation de l’État". Nestlé a préféré régler deux millions d’euros d’amende pour éviter un procès public. Cette affaire a levé le voile sur une filière jusqu’ici peu médiatisée, mais économiquement stratégique.
La France est un acteur majeur de l’eau minérale naturelle (EMN) au niveau européen et mondial. Avec 50 usines d’embouteillage, 115 stations thermales et près de 20 % des sources d’eau minérale du continent, l’Hexagone est le premier exportateur mondial d’EMN. Pourtant, cette filière repose sur des équilibres hydrogéologiques fragiles, souvent mal connus, voire négligés. L’eau minérale naturelle est soumise à une réglementation stricte : elle doit être puisée sans traitement, avec une composition minérale stable, et validée par le ministère de la Santé sur avis de l’Académie de médecine. Cette stabilité repose sur la connaissance fine des gisements exploités, un point souvent ignoré ou sous-évalué. L’étude d’un gisement d’eau minérale mobilise plusieurs disciplines : géologie, hydrogéologie, hydrogéochimie, géophysique. Trois zones doivent être identifiées : "l’impluvium (zone de recharge par les pluies), la zone de transit souterraine, et la zone d’émergence". Mais très peu de sites disposent d’une connaissance complète de ces zones. Seuls les grands acteurs comme Évian, Vittel ou Spa ont investi massivement depuis les années 1970 dans la recherche, le suivi des forages, et le financement de doctorats universitaires.
" Le groupe Danone a créé l'association pour la protection de l'impluvium (Apienne) de l'eau minérale Evian, un partenariat public-privé entre la société exploitante et les 13 communes concernées avec la clé des programmes de réduction des pesticides et de pratiques plus écologiques ".
La majorité des sites français, souvent de petite taille et propriété des communes, manquent cruellement de moyens techniques et financiers. Or, comprendre le fonctionnement d’un aquifère n’a rien d’anecdotique. Cela implique de cartographier les zones où l’eau s’infiltre (aire d’alimentation), les couches géologiques qu’elle traverse (zone de circulation) et le lieu où elle ressort (zone d’émergence). Chacune de ces étapes influe sur la vulnérabilité de la ressource. Si l’eau est bien protégée en profondeur, elle peut être fragilisée à l’entrée ou à la sortie du système. "Pomper trop fortement dans la nappe peut même faire baisser la pression interne, au point de provoquer une inversion des écoulements. L’eau superficielle, souvent polluée, peut alors s’infiltrer vers la nappe profonde, censée être protégée. Ce phénomène invisible peut compromettre durablement la qualité de l’eau minérale."( Agence française de la sécurité alimentaire des aliments Afssa). D'où l'importance d'outils de surveillance, de modélisation et d'analyse: traçages, géothermométrie, cartographie détaillée, etc
Ce manque de connaissance expose les captages à de brusques variations, compromettant leur qualité ou leur statut juridique. Plusieurs sites ont ainsi perdu leur appellation d’eau minérale naturelle : Aix-en-Provence (1998), Ribeauvillé (1996), Luchon (2019). Dans ces cas, les sources n’ont pas disparu, mais les conditions de stabilité exigées par la réglementation n’étaient plus réunies. La commercialisation se poursuit parfois sous le statut d’eau de source, bien moins valorisé. À Divonne-les-Bains, un projet d’embouteillage a déclenché un conflit transfrontalier avec la Suisse, nourri par la crainte de perturbations sur l’eau potable locale. En l’absence de données fiables sur les interconnexions souterraines, les oppositions ont eu gain de cause. Le projet a été abandonné en 2019, à quelques mois des élections municipales. Un enjeu politique, économique et scientifique. Face à ces défaillances, le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) plaide depuis 2005 pour "une acquisition systématique des connaissances sur les gisements d’EMN". Dans un guide technique dédié, il préconise notamment la mise en place de périmètres de protection autour des zones de captage, ces points précis où l’eau est prélevée, qu’il s’agisse de sources naturelles ou de forages aménagés. Ces captages, souvent situés sur des terrains appartenant aux collectivités, conditionnent l'ensemble de la chaîne d’exploitation de l’eau minérale. Le guide insiste aussi sur l’étude géologique approfondie des aquifères et sur une surveillance continue de la qualité de l’eau. Malgré ces recommandations claires, de nombreux plans de recherche sont restés lettre morte, faute d’obligations réglementaires ou de volonté politique. Pourtant, l’enjeu est de taille : les territoires qui exploitent ces ressources dépendent des retombées économiques de la filière(emplois, taxes, notoriété). Les élus locaux, souvent non formés, se retrouvent démunis face à la complexité du sujet. Il n’existe à ce jour aucune formation dédiée à la gestion de l’eau minérale pour les collectivités. Ce vide laisse les élus locaux sans outils face à des enjeux complexes, alors même qu’ils portent, juridiquement, la responsabilité des captages. Un paradoxe d’autant plus inquiétant que ces décisions ont des conséquences directes sur la qualité de la ressource, la santé publique et l’économie locale. L’exemple de Nestlé Waters et les nombreux cas de perte d’appellation rappellent que sans recherche, pas de sécurité ni de durabilité. Certains territoires comme Évian ou Spa montrent qu’un modèle plus vertueux est possible, reposant sur la co-construction public-privé, l’implication des universités, et une planification de long terme. En résumé : mieux connaître pour mieux protéger. Dans un contexte de changement climatique et de pressions croissantes sur la ressource en eau, la filière eaux minérales naturelles ne pourra survivre sans remettre la science et la transparence au cœur de sa stratégie. Source WaterGuette / BRGM / AFSSA