Gestion de l'eau
Veiller au bien commun, la Coordination Eau Île-de-France en première ligne
19/06/2025
paru le 26/06/2025 par
Rédacteur en chef
Guadeloupe, Mayotte, Martinique, Guyane.. Dans ces territoires dits d'Outre-mer, l'eau potable ne coule pas toujours du robinet. Coupures régulières, pollution aux pesticides ou aux métaux lourds, prix exorbitants pour un service souvent défaillant: "Des milliers d'habitants vivent une situation de précarité hydrique chronique", souligne le rapport Soif de justice. Coordonné par l'association Notre Affaire à Tous et cosigné par neuf collectifs ultramarins , ce document dresse un constat sans appel: cette réalité constitue une discrimination environnementale territoriale. "Jamais de telles situations ne pourraient perdurer dans un département de la France Métropolitaine", rappellent les auteurs du rapport. Pourtant, ces réalités durent depuis des décennies . A Mayotte, les enfants ne peuvent parfois se laver ou aller à l'école faute d'eau. En Guadeloupe, la contamination au chlordécone continue d'empoisonner le quotidien. En Guyane, des communes entières n'ont toujours pas accès au service public de l'eau digne de ce nom.
Un des nombreux témoignages issu du rapport "Soif de justice" sorti en juin 2025
Cette situation n'est pas qu'un problème logistique ou budgétaire. C'est une atteinte aux droits fondamentaux. Le droit à l'eau, reconnu depuis 2010 par l'ONU comme un droit humain essentiel à la vie, reste largement théorique pour des millions de citoyens français d'outre-mer. Le rapport insiste, "ce n'est pas seulement injuste, c'est illégal ". Il pointe un cadre juridique national trop uniforme, incapable de prendre en compte les réalités locales, et dénonce l'absence d'une politique à la hauteur de l'enjeu. Les défaillances sont multiples. Techniques d'abord: les réseaux sont vétustes, les coupures fréquentes, et certaines zones ne reçoivent l'eau que quelques heures par jour. Dans plusieurs départements, l'eau est perdue avant d'arriver au robinet. Le rapport note une "obsolescence avancée du réseau avec des pertes estimées jusqu'à 60% de l'eau potable produite qui s'échappe dans les fuites du réseau. Un gâchis systémique qui renforce la précarité des usagers. Comment justifier des factures aussi élevées quand plus de la moitié de l'eau disparaît dans la nature? , interroge une représentante du collectif Lyannaj Pour Dépolyé Matinik. Sanitaire ensuite: des pollutions aux pesticides comme le chlordécone ou l'aluminium rendent l'eau impropre à la consommation. Economiques enfin: les prix facturés aux usagers sont parfois les plus élevés de France, et ce malgré un service défaillant. "Les français.es les plus pauvres paient l'eau la plus chère", relève le rapport et ces inégalités devraient encore s'aggraver avec les effets du changement climatique.
En Martinique, entre 2008 et 2021, le prix du mètre cube d’eau potable et d’assainissement est passé de 4,31 euros à 5,71 euros, soit une augmentation de plus de 32 % en treize ans
Face à cette situation, Soif de justice avance des solutions. D'abord, reconnaître officiellement ce contexte comme une discrimination environnementale et territoriale. Ensuite, redimensionner les financements publics à hauteur de l'enjeu: un rattrapage estimé à 2.36 milliards d'euros serait nécessaire pour remettre à niveau les infrastructures. Enfin, responsabiliser les acteurs publics, en intégrant davantage les citoyen.nes à la gouvernance locale et en rendant effectif un droit opposable à l'eau potable. Le rapport s'inscrit dans une démarche "décoloniale" assumée. " Nous appuyons sur la connaissance de terrain de nombreux collectifs et des personnes qui les composent, elles-mêmes premières concernées par ces problématiques qu'elles vivent dans leur chair", écrivent les auteurs du rapport. Il est aussi le fruit d'une mobilisation juridique croissante. Des recours ont été déposés à Mayotte, des plaintes pénales soutenues en Guadeloupe, et une stratégie de contentieux est en construction avec les associations locales. A l'horizon 2026, le Plan Eau Dom arrive à échéance. Pour des signataires, cette échéance représente une opportunité politique cruciale. " Sans changement de paradigme, aucun progrès durable ne pourra être obtenu", préviennent -ils. Derrière les tuyaux percés et les citernes vides, c'est une autre question qui se joue, celle de l'égalité républicaine face à la crise écologique.
Créée en 2015, l'association Notre affaire à tous s'est fait connaître pour avoir lancé, avec d'autres ONG, le recours juridique historique L'affaire du Siècle, qui a conduit l'Etat Français à être reconnu coupable d'inaction climatique. Derrière ce coup d'éclat se cache une stratégie bien rodée: utiliser le droit comme levier de transformation sociale, écologique et démocratique. Composée en majorité de juristes, chercheuses, militants et militantes basés en France métropolitaine, NAAT développe depuis plusieurs années un axe de travail spécifique sur les inégalités environnementales. l'association s'efforce de rendre visible les angles mort du droit, en l'adaptant aux vécus de celles et ceux qui subissent le plus durement la crise climatique et écologique. Avec Soif de justice, NAAT passe un cap. Aux côtés de collectifs ultramarins, l'association documente une discrimination environnementale territoriale et contribue à construire des outils juridiques pour y mettre fin. " Ce rapport s'inscrit dans une logique de décentrement et de mise en lumière d'impensés hexagonaux ", expliquent les auteurs.
En 2023, NAAT a ainsi porté un recours à Mayotte avec l'association Mayotte a soif et a soutenu des plaintes pénales en Guadeloupe. Ce travail s'inscrit dans une logique de contentieux stratégique, mais aussi de soutien aux luttes locales, en reconnaissant le rôle des premiers.es consernés.es dans la construction des solutions. " Les juristes et autrice doivent apprendre à se mettre au service, pas à parler à la place ", insiste Emma Feyeux, juriste et autrice principale du rapport.
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