Gestion de l'eau
PFAS : l’ANSES plaide pour une surveillance nationale intégrée
22/10/2025
À Cherbourg-en-Cotentin, des habitants ont consommé pendant des années une eau contaminée par les PFAS, sans en être informés. Ces substances chimiques persistantes, aujourd’hui reconnues comme dangereuses pour la santé, étaient pourtant détectées dès 2019 dans les forages de l’Asselinerie. Malgré des signaux de pollution et une protection réglementaire mise en place depuis 2015, la réaction de l'agglomération est intervenue tardivement. La piste agricole, elle aussi, soulève des interrogations sur l’origine réelle de la pollution.
Par Nicolas Vignot
Paru le 08/08/2025
À Cherbourg-en-Cotentin, les habitants de la commune déléguée de La Glacerie ont bu pendant des années une eau contaminée par les PFAS, ces " polluants éternels " aux effets sanitaires désormais bien documentés. C’est ce que révèle une enquête du média Le Poulpe, publiée le 1er août 2025, qui met au jour l’existence de mesures alarmantes dès 2019 dans les forages de l’Asselinerie, sans que les autorités n’en informent la population. En 2025, des analyses menées dans le nord de La Glacerie révèlent des taux de PFAS compris entre 233 et 458 nanogrammes par litre, soit jusqu’à quatre fois la limite de qualité fixée à 100 ng/L. Au total, 4 500 personnes auraient été exposées à cette eau non conforme, distribuée via le réseau alimenté par les trois forages de l’Asselinerie. En cause : une contamination chimique restée ignorée du public pendant plus de cinq ans, malgré les signaux connus en amont.
Située sur la commune déléguée de La Glacerie, au nord-est de Cherbourg-en-Cotentin, l’usine de l’Asselinerie est en service depuis 1988. Elle capte l’eau souterraine à partir de trois forages (F1, F5 et F7), creusés dans un sous-sol composé de grès armoricains fracturés, reposant sur des schistes ordoviciens. Ce contexte géologique, marqué par des failles et des contacts anormaux, permet une bonne circulation de l’eau mais présente aussi des fragilités en cas de pollution diffuse. L’installation affiche une capacité nominale de 50 m³ par heure et alimente en eau potable une partie du secteur nord de La Glacerie. L’eau brute, acide et faiblement minéralisée, est traitée par aération, double filtration (neutralité puis charbon actif) et désinfection au chlore avant d’être stockée sur site dans un réservoir de 500 m³.
Les trois forages de l'usine d'Asselinerie sont identifiés par les points F1, F7, F5 sur la carte. En 2015, face à l’enjeu de protéger durablement cette ressource, la ville de Cherbourg-en-Cotentin engage une procédure de déclaration d’utilité publique (DUP) pour encadrer les usages autour des trois forages. Le but : éviter toute contamination des eaux souterraines, en instaurant des périmètres de protection réglementés. La zone concernée couvre 136 hectares, divisés entre une zone sensible (88 ha) — en grande partie boisée — et une zone complémentaire (48 ha), principalement agricole. À l’intérieur de ces périmètres, certaines activités sont strictement interdites ou fortement encadrées : cultures remplacées par des prairies, interdiction d’épandage de boues ou de produits phytosanitaires, limitation du pâturage, et maintien obligatoire des haies et talus. Ces mesures visent à préserver la qualité de l’eau captée dans un contexte géologique vulnérable, tout en conciliant la présence d’activités agricoles.
Le site se trouve à proximité de trois parcelles agricoles et proche de la national 13 , (image google 2025) Si Le Poulpe révèle qu’en 2019, la présence de PFAS dans l’eau brute de l’Asselinerie était déjà connue des autorités, le dossier d’utilité publique, lui, ne fait aucune mention de ces polluants persistants. Pourtant, les analyses menées avant 2015 indiquaient déjà une pollution diffuse du milieu, avec la détection régulière d'herbicides tels que le diuron, le glyphosate ou l’atrazine. Bien que les concentrations restaient souvent en dessous des seuils réglementaires, elles montraient que la ressource était loin d’être vierge de contaminants. Ces signaux faibles, associés à la fragilité géologique du site, auraient dû alerter sur la nécessité d’élargir le spectre des substances surveillées. Il faudra attendre début 2025 pour que des analyses ciblées sur les PFAS soient enfin menées à Cherbourg, révélant des taux jusqu’à quatre fois supérieurs à la norme. Ce n’est qu’à ce moment-là que la communauté d’agglomération, par la voix de Philippe Lamort, élu en charge du grand cycle de l’eau, prend des mesures de dilution et informe les habitants. Une réaction tardive, alors que les PFAS sont connus pour leur toxicité depuis des années, et que l’ARS Normandie disposait dès 2019 de résultats positifs, selon Le Poulpe. L’absence d’alerte publique à l’époque pose aujourd’hui question.
Jusqu’en 2021, les PFAS ne font pas l’objet de recherche systématique dans l’eau potable. L’arrêté du 11 janvier 2007, qui fixe les paramètres à analyser dans les eaux distribuées, ne mentionne pas les PFAS. En 2022, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) publie un rapport crucial, demandant une surveillance renforcée de ces substances, notamment dans l’eau. En réponse, les ARS reçoivent des consignes début 2023 pour mettre en place une campagne nationale de mesure des PFAS dans l’eau potable, prévue entre 2023 et 2026. Les premières analyses grand public commencent à sortir en 2024. Toutefois, des ARS régionales comme celle de Normandie étaient informées du risque bien avant, notamment via des analyses ponctuelles non rendues publiques, comme dans le cas de Cherbourg révélé par Le Poulpe.
Si les PFAS sont à l’origine des polluants industriels, ils se retrouvent aussi dans le monde agricole, y compris via les produits phytosanitaires utilisés directement sur les cultures. Dans un rapport publié en 2023, l’association Générations Futures a identifié plusieurs herbicides contenant des PFAS, présents comme substances actives ou additifs. D’autres vecteurs sont également en cause, comme les boues de station d’épuration épandues sur les terres agricoles, les composts issus de déchets contaminés, ou encore certains films plastiques utilisés pour le paillage ou l’ensilage. Autant de voies d’entrée silencieuses, longtemps ignorées, qui favorisent la dispersion de ces polluants persistants dans les sols et les nappes. Dans ce contexte, une question se pose : les forages de l’Asselinerie ont-ils aussi été exposés à une contamination d’origine agricole ?
Le rachat en mars 2025 de deux parcelles agricoles situées dans les périmètres de protection des forages de l’Asselinerie, révélé par un document obtenu par Water Guette, semble marquer une prise de conscience tardive. Officiellement, l’agglomération justifie cette acquisition en précisant que "ces deux parcelles de terres sont situées dans le périmètre de protection rapprochée des forages de l’Asselinerie institué par arrêté préfectoral du 23 juin 2017 ". Mais cette opération soulève une autre question : l’agglomération soupçonne-t-elle que la contamination pourrait provenir des terres elles-mêmes ? Aucun lien formel n’a été établi à ce jour, mais l’achat de ces parcelles en zone sensible ressemble moins à un simple geste préventif qu’à une mesure de gestion de risque, face à une pollution désormais actée. Alors que le Conseil constitutionnel a censuré, le 7 août 2025, l'interdiction de l’acétamipride, un néocotinoïde controversé , la prise en charge des pollutions diffuses des eaux potables liées aux activités humaines demeure, elle, sans réponse structurée. Le principe du pollueur-payeur, pourtant inscrit dans la loi, reste largement inappliqué face à ces contaminations invisibles et dangeureuses pour la santé publique.
Gestion de l'eau
PFAS : l’ANSES plaide pour une surveillance nationale intégrée
22/10/2025
Gestion de l'eau
PFAS: à Cherbourg, quand les normes supplantent la santé publique
31/08/2025
Gestion de l'eau
PFAS à La Glacerie: des élus interpellent la présidente de l'agglomération dans une lettre ouverte
25/08/2025